Le Monde
Crépuscule dans le désert, le livre réquisitoire d’un banquier du pétrole texan qui suggère que l’Arabie Saoudite surestime ses capacités futures de production de pétrole, est l’une la source décisive de deux rapports récents du Pentagone envisageant des pénuries de pétrole « sévères » à partir de 2012 et jusqu’en 2015 au moins, ai-je appris auprès du département de la défense américain.
[Matthew Simmons, l’auteur de Crépuscule dans le désert (Twilight in the desert), publié en 2005, est décédé le 8 août à l’âge de 67 ans. Ses analyses sont une pièce du débat sur l’imminence du ‘peak oil’ (ou pic pétrolier). Lors de son décès, l’Agence internationale de l’énergie a salué le travail d’un « provocateur de l’industrie du pétrole » (sic) : une manifestation du respect dont jouissait ce banquier de Houston indépendant et iconoclaste, spécialiste des investissements dans le pétrole et fondateur de Simmons & Company International. En 2000, Matthew Simmons a été l’un des experts consultés par le vice-président américain Dick Cheney, lors de l’élaboration de la politique énergétique du président George W. Bush.]
Selon l’analyse développée dans Crépuscule dans le désert, les chiffres officiels publiés par la Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne, surestiment fortement le montant réel des réserves que la première puissance mondiale du pétrole est encore capable d’extraire de son sol. Conséquence, d’après Matthew Simmons : les extractions saoudiennes n’augmenteront plus, et pourraient même être sur le point de décliner brutalement.
L’état-major de l’armée américaine semble indiquer qu’il juge les craintes de M. Simmons fondées sinon crédibles, lorsqu’il reconnaît faire reposer sur elles le pronostic d’une « crise énergétique sévère » potentiellement « inévitable ».
Parus en 2008 et en 2010, les deux dernières livraisons du rapport bisannuel sur « l’environnement » des forces inter-armées américaines (les rapports JOE, pour Joint Operating Environment) occupent une place importante, à mon sens, parmi les analyses récentes reconnaissant l’éventualité (ou brandissant la menace) d’une chute des extractions mondiales de pétrole d’ici au milieu de cette décennie.
[Le seul fait que les rapports JOE2008 et JOE2010 émanent de l’état-major inter-armées américain leur confère de l’importance. L’armée U.S a toujours veillé de (très) près au bon approvisionnement en or noir saoudien de la grande puissance du « monde libre » :
dès 1944 et l’alliance passée entre le président Roosevelt et le roi Ibn Saoud quelques jours après Yalta, en passant par 1973 et la guerre du Yom Kippur, lorsque l’U.S Navy dessinait des plans d’attaque pour mettre la main sur le méga-champ de Ghawar et le terminal non moins vital de Ras Tanura, puis lorsque l’Arabie Saoudite accepta d’enfreindre secrètement son propre embargo sur le pétrole afin de réapprovisionner la 6e flotte américaine menacée de panne sèche, et… jusqu’à aujourd’hui.]
Les rapports JOE de 2008 et de 2010 émettent en termes identiques un diagnostic qui figure à ce jour parmi les plus pessimistes sur la question d’un éventuel choc pétrolier structurel d’ici à 2015 [j’ai été le premier journaliste à en faire état, en avril 2010].
« En 2012, les surplus de capacité de production de pétrole pourraient disparaître entièrement, et dès 2015, le déficit de production pourrait être proche de 10 millions de barils par jour. »
10 millions de barils par jour, c’est à peu près l’équivalent des extractions quotidiennes de l’Arabie Saoudite.
Si en 2015, pour satisfaire la demande énergétique mondiale, il devait réellement manquer l’équivalent de la production de l’Arabie Saoudite, les années à venir promettraient d’être extrêmement délicates un peu partout dans le monde pour l’économie, la politique et, du coup, pour les forces militaires.